29 février 2004

Un bon chômeur est un chômeur mort

(Les recalculés ou les bons contes de Monsieur Raffarin)

Les premiers effets bénéfiques du plan d’élimination des chômeurs se font sentir. Notre premier ministre peut rassurer ceux de ses concitoyens qui pouvaient encore craindre d’être touchés par le chômage : “Je peux vous dire avec sérieux et détermination: cette baisse du chômage sera régulièrement confirmée tout au long de l'année 2004. Nous avons engagé les actions nécessaires pour ce faire, ” ajoute-t-il en faisant référence au plan qui a déjà permis d’éliminer 180 000 chômeurs au mois de janvier et qui en éliminera 500 000 tout au long de l’année.
Les chômeurs morts sont invités à rejoindre les forces vives de la nation au plus vite. Ils pourront profiter des bons indicateurs de croissance dont le premier ministre s’est réjouis lors d’un déplacement électoral le samedi 27 février à l’Abbaye de Prémontrés (Meurthe-et-Moselle, Région Lorraine). On appréciera que le premier ministre ait pu disposer des moyens mis à sa disposition par l’Etat pour effectuer ce déplacement électoral en faveur de son parti. Le premier ministre démontre ainsi que tous les moyens publics sont mobilisés pour servir les forces vives de la nation y compris les avions du Glam.
Le jeune créateur d’entreprise que je suis ne peut qu’applaudir des deux mains (qui d’ailleurs ne peuvent plus me servir qu’à ça). Ayant créé mon entreprise fin 2002 en m’appuyant sur le Plan de Retour à l’Emploi (PARE) qui m’assurait 30 mois d’indemnisation, j’ai été très heureux d’apprendre par voie de presse que l’équilibre financier de mon entreprise avait été avancé de 7 mois par le gouvernement. Grâce au gouvernement donc, la réduction de la durée de mon indemnisation me contraint à réussir là où je ne pouvais qu’échouer, au beau milieu de mon projet.
Merci à Jean-Pierre Raffarin qui a si bien compris les besoins des forces vives de la nation. Je lui laisse la parole pour conclure : "on ne crée pas une entreprise quand on a le blues". Il a raison, c’est après qu’on a le blues.

28 février 2004

L’obsession de la communication dans la nouvelle gouvernance

("Il est terminé le temps des gadgets, des formules, des communications, le temps est venu de la vérité", J.P. Raffarin, 2003)

Dans le rapport parlementaire sur la canicule qui a été adopté le 25 février 2004, on peut lire ce constat accablant : « La DGS diffuse un communiqué le 8 août à 16 h 39 sous l'intitulé "Fortes chaleurs en France : recommandations sanitaires". Il est assez archétypal de la lourdeur de cette administration centrale. Il faut tout d'abord observer qu'il a fallu deux jours de négociations entre plusieurs services et le cabinet du ministre pour l'élaborer. Son contenu est affligeant, se bornant à rappeler les risques découlant de la chaleur. (...) le plus surprenant est sans doute que, malgré l'accumulation de signaux inquiétants, cette communication rassurante perdurera jusqu'au 13 août. »

Durant ces deux jours, pendant que des centaines de personnes âgées mourraient dans le silence, les services du ministère de la santé ont fait amender ad nauseam par les services de la DGS un communiqué dont la substance finale était équivalente au communiqué diffusé par Météo France 4 jours auparavant. Deux jours d’intense activité dans des bureaux climatisés pour faire quoi ?
Pour sauver la face. Pour tenter par avance d’établir la non responsabilité du gouvernement dans une crise sanitaire comptabilisant 14 947 décès . Quelles que soient les conclusions du rapport parlementaire, nous aurons au moins appris une chose : le gouvernement actuel fait passer la gestion de son image avant la gestion tout court. Quand les deux ne coïncident pas, le gouvernement forme d’urgence une cellule de crise... de communication.

Et les crises de communication, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin n’a connu que cela depuis qu’il est en place. Les intermittents protestent car ils craignent que leur système d’assurance chômage soit mis à mal, et que leur répond-on : « vous nous avez mal compris, nous faisons tout pour sauver votre statut ». Les enseignants se mettent en grève, défilent durant un mois dans les rues contre la décentralisation de l’éducation nationale, et qu’entend-on du côté du gouvernement : « nous avons été mal compris ». Les chercheurs se plaignent de voir leurs budgets ramenés à peau de chagrin : « nous n’avons qu’une seule préoccupation, que la recherche française soit au plus haut niveau ». Etc. Il n’y a pas de problème, que des malentendus. Tout est solvable dans une bonne communication.

Il n’y a pas un événement politique de ces deux dernières années qui n’ait été posé, envisagé, soupesé d’abord comme un problème médiatique. A commencer par le premier de ces événements : l’élection au premier tour des présidentielles de Jean-Marie Le Pen. La plus grande victoire d’un extrême politique depuis celle des communistes après la guerre (il la méritait bien pour avoir résister). Ce jour là, Le Pen a pu remercier la campagne de communication sur l’insécurité galopante savamment concoctée par l’Elysée avec l’aide de TF1 et la complicité concurrente – quoique peut-être involontaire - de France 2. [Certes ces accusations ne sont pas étayées par des preuves, mais qu’on me permette de les maintenir puisqu’elles visent l’hôte de la présidence qui n’est justiciable devant aucune cour en France. S’il n’est pas justiciable, on peut bien l’accuser librement de tous les maux, n’est-ce pas ?] Et depuis, pas un ministre, et surtout pas celui qui se targue de la plus grande popularité parmi les Français, n’a échappé à la règle. Tout est communication, c’est écrit dans le précis de la nouvelle gouvernance de Jean-Pierre Raffarin. La démocratie moderne, selon lui, consiste à construire – artificiellement ou non – un consensus autour d’une décision que l’on a déjà prise et que l’on s’apprête à annoncer.

Mais l’actuel premier ministre n’a rien inventé qui n’ait été déjà fait outre-Atlantique et qui n’ait été importé par les grands communicants comme Jacques Séguéla. Les formules dont Jean-Pierre Raffarin rehausse ses discours sont le juste milieu entre la petite phrase et la base line publicitaire du concepteur rédacteur. Une nouvelle réforme, vite un nouveau packaging ! 15 000 morts, vite un slogan ! Une manifestation, vite un « je vous ai compris » gaullien ! Une statistique gênante, vite « un plan Marshall » ou une « fracture à réduire » !

On aura noté que tous les ministres n’ont pas les talents requis pour pratiquer l’art de la nouvelle gouvernance avec la même habilité que le premier d’entre eux. Et c’est justement en observant le concert de fausses notes donné par les Ferry, Bachelot, Mattei ou Mer que l’on a pu détailler la méthode Raffarin. Chaque fois ce dernier a du refaire la leçon, laborieusement, comme un enseignant fatigué expliquant pour la énième fois à un élève bouché, comment il faut doser les dénégations, les déclarations de bonnes intentions, polir le message, prendre à parti une minorité électorale, bref, comment réussir sa sauce démagogique pour faire passer les « dures mais si nécessaires » réformes.

Luc Ferry dont les diplômes le rendent peu enclin à recevoir la leçon d’un ancien responsable de la communication d’une marque de café, aura donné bien du fil à retordre au maître. Il faut reconnaître que le bonhomme se croit sincère et qu’il subsiste en tout philosophe un fond de scrupule qui parfois lui fait confondre une amère pilule avec la ciguë. Etre toujours du parti de Gorgias contre Socrate peut être lassant. Mais c’est à ce prix que l’on peut continuer à prendre des airs modestes en affirmant qu’il n’y a pas de plus grand honneur que d’être en charge de l’éducation nationale. Faut-il lui rappeler que trahir une charge si honorable peut conduire tout droit à la roche Tarpéienne.

Je crains, ou plutôt j’espère, que le gouvernement actuel n’est que l’un des derniers avatars d’une République qui n’a plus que son nom pour se cacher. Je crois qu’ils n’ont pas conscience de la fragilité de nos institutions, qu’en réduisant la République à un conseil d’administration et la démocratie à une réunion de planning média, ils font de ce qui n’était encore qu’un malentendu persistant entre citoyens et politiques, une insulte déshonorante à l’encontre des premiers. Les hommes sont sans doute prêt à tout avaler du moment qu’il y a de quoi s’alimenter dans le tas, mais il ne faut pas abuser : les hommes ne passent pas leur temps à mentir à leur congénère ou à leur concocter des plans média. Ils n’ont pas l’habitude, et ils finiront par vomir les politiques.

Qu’on m’insulte et qu’ensuite on m’explique que j’ai mal entendu est une chose qui fait de moi le petit frère des jeunes de banlieue. Lui, mon aîné dans le mépris subi, n’irait pas par quatre chemin avant de répondre d’un simple crachat. Et c’est la seule chose qui m’est venu à la bouche quand j’ai assisté aux protestations éhontées de l’UMP face au jugement rendu à l’encontre de Juppé. Il ne m’a fallu que quelques instants pour comprendre que ces hommes – que pourtant je ne déteste pas a priori – faisaient plus cas de leur Safrane que de la République.

Je devrais m’arrêter ici, mais demain le gouvernement va « annoncer », « claironner » que le nombre de demandeurs d’emploi en France a baissé de 30 000 au mois de janvier. Je veux bien croire que je suis un crétin qui confond chômeurs allocataires et demandeurs d’emploi, mais qu’a-t-on fait des 180 000 allocataires radiés de l’Assedic au 1er janvier 2004 ? Ont-ils tout à trac trouvé un emploi ? Sont-ils comptés ou décomptés ? S’ils sont décomptés, alors le nombre de chômeurs a crû de 150 000 au mois de janvier. Et mon petit doigt me dit qu’il va falloir que Raffarin donne une nouvelle leçon de communication, car Fillon a d’autres ambitions que de faire de la réclame.

6 février 2004

A propos d'une décision de justice qui fait beaucoup parler d'elle

("Je suis surpris par la décision du tribunal de Nanterre. Mais cette décision est provisoire", J.P. Raffarin, 2004)

Savez-vous ce que signifient les mots « mandat électif » ? Pensez-vous qu'il s'agisse d'un concours d'entrée en politique que les diplômés des grandes écoles passent en fin de cursus ? Ou bien s'agit-il du passage obligé que les « grands hommes » de ce pays empruntent pour se faire connaître des Français ? Ou bien encore une distinction qui honorent celles et ceux qui savent se faire aimer des électeurs ?

Sommes-nous vraiment dans le pays qui réinventa la République au XVIIIe siècle si dans ce même pays, les hommes investis d'un mandat électif en ignorent le sens au point de mettre en cause l'un des piliers de la démocratie ? Que ceux qui trouvent choquant qu'un homme qui a « trompé la confiance du peuple souverain » - celle qu'il lui a justement confiée en l'investissant d'un mandat - soit privé du droit de se présenter devant les urnes pendant 10 ans, aient l'impudence de se prétendre « hommes politiques » me révulse. Et je suis certain de n'être pas le seul.

La politique existe dans cet espace qui s'appelle le politique, celui qui permet aux citoyens de s'informer librement, de juger, de débattre et de décider ensemble. Les modalités de cette délibération collective sont décidées collectivement, et en dernier ressort la légitimité de toute décision politique repose sur le peuple souverain. Pas un homme politique n'est censé ignorer cela, et dans les moments de crise comme celui qu'une bonne moitié du corps politique français est en train de vivre, tous devraient s'en souvenir sans la moindre défaillance.

Au lieu de quoi, nous assistons à une débauche de plaidoiries sauvages sur les écrans et dans les colonnes des journaux qui prouvent non seulement le manque de respect que ces hommes ont de la justice mais également la piètre estime qu'ils ont pour la notion de peuple souverain.

En rappelant tout simplement ce qu'implique le fait d'être investi d'un mandat électif, et ce qu'il en coûte de le trahir, les juges du Tribunal de Nanterre n'ont pas fait de la politique comme certains croient intelligent de le dénoncer, ils ont simplement rappelé ce qu'est le politique.

Etant un simple citoyen, ayant eu à supporter le déshonneur d'avoir à voter pour un homme que je sais être coupable d'avoir déjà « trompé la confiance du peuple souverain », je n'ai plus le goût des jeux d'esprit et des habiles discours de rhéteurs, je trouve que les attendus des juges de Nanterre sont simples et indiscutables. Ils me rendent un peu de l'honneur que je perd chaque jour à voir certains hommes politiques confondre leurs intérêts personnels (qu'ils soient matériels ou politiques) et la confiance du peuple souverain. Merci à eux.