15 mai 2005

Non mais !

Je ne dois pas avoir tout compris. Nul ne s’en étonnera de la part d’un ordinaire citoyen que l’on sollicite en moyenne une fois par an pour choisir une femme ou un homme parmi une liste de candidats à un mandat électif. Mon vote compte un peu, mon opinion un peu moins, mon avis pas du tout. Pour une fois, et c’est la seconde fois de mon existence d’électeur, on me demande un avis tranché, cette fois sur un projet de traité de constitution pour l’Europe. Je répondrai oui ou non. Ceux qui l’emporteront se chargeront bien volontiers de tracer les nuances. C’est ainsi.

Inutile de rappeler ici les heures passées à essayer de comprendre de quoi il retournait, les discussions avec les amis, les longues soirées de télévision, les outrances du bocal médiaticopolitique. Je ne comprends pas le TCE. Je sais pourtant lire, j’ai quelques notions de droit, de politique même, mais je ne comprends pas ce traité de constitution pour l’Europe.

J’ai appris à l’école qu’avant 1789, nous vivions sous un régime monarchique, puis une démocratie républicaine, puis l’empire, puis une monarchie constitutionnelle, puis à nouveau et enfin une démocratie républicaine. Quand je lis le TCE, je ne sais pas de quoi il s’agit.

Est-ce une nouvelle forme de démocratie ? Est-ce une fédération d’états démocratiques ? Est-ce un régime oligarchique ? Technocratique ? Timocratique ? Est-ce un peu de tout ça à la fois ? Que sont les droits et les devoirs d’un citoyen européen ? Qui sera responsable devant le peuple européen de la politique conduite en Europe ? Qui contrôlera l’exercice du pouvoir ? Comment les lois seront-elles débattues ? Quelle est ma place de citoyen là-dedans ?

J’ai lu, relu le traité, rien n’est clair. Chaque article en cache un autre qui appelle la lecture d’un troisième. La charte des droits fondamentaux dit une chose, mais cette chose ne s’applique que si la constitution européenne le veut bien, que si le droit national ne dit pas le contraire. Où est le droit ? Où sera la justice ? Où seront les responsables ?

Nous vivons en paix, ou presque, depuis 60 ans. Je préfère notre cinquième République vieillissante, une démocratie essoufflée, au régime de Vichy. Bien. Vais-je devoir maintenant avaler le TCE parce que c’est un moins mauvais traité que Nice ? La politique est-elle devenue une affaire de traités, de contrats plus ou moins bien ficelés, avec des clauses cachées que de rusés avocats sauront faire jouer en faveur de quelques fortunés ? Le TCE est un meilleur contrat que le traité de Nice pour le citoyen français, cela signifie-t-il que je paierai mon abonnement de téléphone mobile moins cher, que la TVA de la restauration baissera, que La Poste continuera de fonctionner, que les avions seront plus gros ? Ou bien le contraire ? Mais pourquoi diable faut-il que je signe un contrat ?

Le seul contrat politique que je signe s’appelle le contrat social. C’est un contrat qui lie les citoyens et leurs élus. Le citoyen Chirac, réélu président de la République en 2002, nous invite à nous prononcer sur le TCE. Il a estimé, et nous lui avons conféré ce pouvoir et cette charge, que l’adoption du TCE par les citoyens français passait par un référendum. Et tous les jours, tels les vaillantes chargées de développement commercial d’un opérateur téléphonique, les hommes politiques en faveur du oui nous répètent que refuser ce TCE serait impossible. Impossible, Il n’y a pas de plan B disent-ils. Pas de plan B ? De quoi me parlent-ils ? Un traité, une constitution, un contrat, un référendum, et maintenant un plan ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce par déformation professionnelle qu’ils parlent ainsi : « si je perds les élections législatives, je me rabattrai sur mon mandat de maire, c’est mon plan B ».

Moi, j’ai un plan B pour eux en cas de victoire du non. Qu’ils fassent leur boulot de politiques. Qu’ils convoquent une constituante, une vraie. Une constituante élue par les Européens, qui elle planchera sur les questions que 99 % des électeurs se posent : c’est quoi cette politique ? A quoi ça sert une constitution ?

Des questions que, soit dit en passant et sans méchanceté, on se posait déjà il y a 2500 ans et qui déjà n’avaient rien à voir avec la taille des avions.

29 avril 2005

Le TCE, un contrat social précaire ?

« Né citoyen d’un état libre, et membre du souverain, quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire. Heureux, toutes les fois que je médite sur les gouvernements, de trouver toujours dans mes recherches de nouvelles raisons d’aimer celui de mon pays ! », Du contrat social, Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Genève, 1762

Tout le monde le dit, le TCE c’est plus, c’est mieux ! Avec le Traité pour une Constitution de l’Europe, le Parlement aura davantage de pouvoir, le citoyen plus de démocratie, la France plus de poids et les voyageurs de plus gros avions ! Le TCE, ça va nous rendre plus fort, plus européen, plus social, plus dynamique. Pourquoi discuter, c’est mieux pour le même prix. A budget identique, le consommateur choisit le meilleur produit... Alors Nice ou TCE ?

Les nombreux protagonistes du débat, parmi lesquels on compte désormais Lionel Jospin, reprochent aux partisans du Non de ne regarder que la bouteille à moitié vide au prétexte de la crise économique et politique de la France. Qu’ils jugent plutôt l’Europe et les améliorations qu’apporte le TCE. Qu’ils jugent donc.

Nous sommes à un mois jour pour jour d’un vote que je qualifierais d’historique. Le précédent vote équivalent remonte à 1958, lors du référendum pour la Veme République. En avril 2002, les Français ont entériné une évolution politique en marche depuis la disparition du général de Gaulle : l’effritement de l’électorat des partis dits de gouvernement. Le pourcentage de votants en faveur des deux grands partis de gouvernement du moment est 75,15% à 34,84% entre 1974 et 2002, soit une baisse de plus de 40%. Alors que le nombre de votant passait de 25 à 29 millions, le nombre de votants en faveur de ces deux candidats est passé de 19 à 10 millions. L’analyse n’est certes pas neuve, mais dans le contexte du référendum du 29 mai, elle montre clairement que les partis du camp du Oui (UMP, UDF, et la moitié du PS) sont structurellement minoritaires. Est-ce à dire que le TCE constitue une aubaine pour eux alors qu’ils sont démocratiquement affaiblis ? On peut le craindre.

Nous voilà donc à la croisée des chemins : une cinquième République en déréliction progressive depuis la disparition du général de Gaulle et de François Mitterrand, un passage de relais non pas vers une nouvelle République Française mais vers une constitution européenne. La question que l’on nous posera le 29 mai n’est donc pas : voulez-vous ou non des avions de 600 places ? Mais, quel système démocratique voulez-vous pour prendre le relais de notre République ?

Or, c’est bien sur le thème des institutions démocratiques que les partisans du Non ont le plus d’arguments. Que devient notre constitution avec le TCE ? De quelle façon les relais démocratiques fonctionneront entre parlements nationaux, parlement européen, commission et conseil des ministres européen ? Quelle place aura le citoyen dans ce nouvel ensemble ? Il ne suffit pas de répondre à ces questions que le TCE sera mieux que Nice, il faut expliquer au citoyen que les grands équilibres démocratiques sont au moins préservés, sinon renforcés.

Pour ma part, je trouve que la complexité du texte est réelle. Le principe de co-décision laisse entendre que le conseil peut décider seul, sans le parlement. La commission a le monopole quant à l’initiative des lois. La charte des droits ne prévaut pas sur la partie I du texte, mais s’applique quand cette dernière ne dit rien. Les pétitions n’ont rien de contraignant (un vote l’est). Le parlement ne peut pas s’opposer à la commission, sauf à la destituer. Dans ce dernier cas, les membres de la commission sont proposés par le conseil. Je passe sur les nombreux articles dont la compréhension fait appel à des compétences de constitutionaliste. Bref, le compte n’y est pas.

Le sentiment que cette constitution là aboutit à un contrat social au rabais est tenace, et en tant que citoyen, je ne suis pas prêt à lâcher ce que la France a mis deux siècles à conquérir par le débat et parfois le sang. Le TCE c’est mieux, mais ce n’est pas encore bien.