29 avril 2005

Le TCE, un contrat social précaire ?

« Né citoyen d’un état libre, et membre du souverain, quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire. Heureux, toutes les fois que je médite sur les gouvernements, de trouver toujours dans mes recherches de nouvelles raisons d’aimer celui de mon pays ! », Du contrat social, Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Genève, 1762

Tout le monde le dit, le TCE c’est plus, c’est mieux ! Avec le Traité pour une Constitution de l’Europe, le Parlement aura davantage de pouvoir, le citoyen plus de démocratie, la France plus de poids et les voyageurs de plus gros avions ! Le TCE, ça va nous rendre plus fort, plus européen, plus social, plus dynamique. Pourquoi discuter, c’est mieux pour le même prix. A budget identique, le consommateur choisit le meilleur produit... Alors Nice ou TCE ?

Les nombreux protagonistes du débat, parmi lesquels on compte désormais Lionel Jospin, reprochent aux partisans du Non de ne regarder que la bouteille à moitié vide au prétexte de la crise économique et politique de la France. Qu’ils jugent plutôt l’Europe et les améliorations qu’apporte le TCE. Qu’ils jugent donc.

Nous sommes à un mois jour pour jour d’un vote que je qualifierais d’historique. Le précédent vote équivalent remonte à 1958, lors du référendum pour la Veme République. En avril 2002, les Français ont entériné une évolution politique en marche depuis la disparition du général de Gaulle : l’effritement de l’électorat des partis dits de gouvernement. Le pourcentage de votants en faveur des deux grands partis de gouvernement du moment est 75,15% à 34,84% entre 1974 et 2002, soit une baisse de plus de 40%. Alors que le nombre de votant passait de 25 à 29 millions, le nombre de votants en faveur de ces deux candidats est passé de 19 à 10 millions. L’analyse n’est certes pas neuve, mais dans le contexte du référendum du 29 mai, elle montre clairement que les partis du camp du Oui (UMP, UDF, et la moitié du PS) sont structurellement minoritaires. Est-ce à dire que le TCE constitue une aubaine pour eux alors qu’ils sont démocratiquement affaiblis ? On peut le craindre.

Nous voilà donc à la croisée des chemins : une cinquième République en déréliction progressive depuis la disparition du général de Gaulle et de François Mitterrand, un passage de relais non pas vers une nouvelle République Française mais vers une constitution européenne. La question que l’on nous posera le 29 mai n’est donc pas : voulez-vous ou non des avions de 600 places ? Mais, quel système démocratique voulez-vous pour prendre le relais de notre République ?

Or, c’est bien sur le thème des institutions démocratiques que les partisans du Non ont le plus d’arguments. Que devient notre constitution avec le TCE ? De quelle façon les relais démocratiques fonctionneront entre parlements nationaux, parlement européen, commission et conseil des ministres européen ? Quelle place aura le citoyen dans ce nouvel ensemble ? Il ne suffit pas de répondre à ces questions que le TCE sera mieux que Nice, il faut expliquer au citoyen que les grands équilibres démocratiques sont au moins préservés, sinon renforcés.

Pour ma part, je trouve que la complexité du texte est réelle. Le principe de co-décision laisse entendre que le conseil peut décider seul, sans le parlement. La commission a le monopole quant à l’initiative des lois. La charte des droits ne prévaut pas sur la partie I du texte, mais s’applique quand cette dernière ne dit rien. Les pétitions n’ont rien de contraignant (un vote l’est). Le parlement ne peut pas s’opposer à la commission, sauf à la destituer. Dans ce dernier cas, les membres de la commission sont proposés par le conseil. Je passe sur les nombreux articles dont la compréhension fait appel à des compétences de constitutionaliste. Bref, le compte n’y est pas.

Le sentiment que cette constitution là aboutit à un contrat social au rabais est tenace, et en tant que citoyen, je ne suis pas prêt à lâcher ce que la France a mis deux siècles à conquérir par le débat et parfois le sang. Le TCE c’est mieux, mais ce n’est pas encore bien.