11 décembre 2004

Tombé de son arbre

(« Il ne faut pas exporter nos modèles dans des fourgons blindés », Raffarin au Mexique en 2004)

C’est juste que ça fait longtemps. Mauvais prétexte, mauvaises excuses. Impressionné par les déclarations de Raffarin au Mexique dont je ne retrouve trace sur le Web (pour réparer cette absence, les voici donc extraites à la main d’une manchette du Canard du 24/11/04: « C’est perché au sommet de son arbre généalogique que l’homme sonne le plus juste. (…) Pour un grand nombre de philosophes, le soleil c’est l’homme.» Le premier ministre s’est également opposé aux « chars lourds capables de porter les idées uniques » et a conclu ainsi : « Il ne faut pas exporter nos modèles dans des fourgons blindés »), impressionné donc par ces nouvelles raffarinades, j’allais reprendre la plume quand une nouvelle marée de boulot et de soucis m’a submergé. La grève libérée, je reprends donc.

Pour ceux des Mexicains qui n’ont pas même un morceau de pain à se mettre sous la dent, voilà donc déjà la farine. Les autres (ceux qui ont à manger, NDMA) auront pu goûter les délices de ce remix pataphysicien de l’idéologie libérale contemporaine et même s’offrir le luxe de penser franchement que le dirigeant français est au moins aussi taré que ses homologues des temps où les dictateurs dévoyaient leur langue aux confins du sens et de la morale. Pardon pour ces commentaires diffamants et goinffrés de références absconses, mais il me faut transiter vers un autre sujet, et il ne fait pas bon rester dehors trop longtemps en cette fin d’automne verglassante (voilà qu’à mon tour je commets des raffarinades!).

Les formules sont là pour marquer les mémoires débiles (fragiles ou séniles, comme vous voudrez) à l’heure où les esprits se rendent de plus en plus disponibles à force de traitements cathodiques à haute dose (si vous avez été au Collège, vous vous souviendrez sans doute de cette expérience qui consiste à transporter des électrons d’un point à un autre en usant d’une anode et d’une cathode, c’est un peu ce que fait TF1 avec les neurones qui disparaissent du cerveau pendant les programmes pour réapparaître durant les pubs. Etonnant non ?), en ce sens Raffarin, ancien communiquant à caractère commercial, a très bien compris que ses discours devaient être forgés comme des statements (formules) publicitaires.

Il serait stérile de commenter les formules mexicaines de notre philosophe de premier ministre, mais ce serait dommage de s’en priver. Pas étonnant que Raffarin sonne faux puisqu’il est au fond du gouffre, voila pour la première. Pour la deuxième, j’avoue que je ne vois pas bien l’allusion mais si le soleil c’est l’homme, il se pourrait que la lune soit la femme. Je sais bien que « pour un grand nombre de philosophes », l’homme c’est l’homme et la femme, mais j’ai un doute quant à Raffarin, car l’on dit bien « con comme la lune » (facile, je sais). « Quand le sage montre la lune, l’idiot montre le doigt » me souffle un ami. Raffarin est un sage, nous des idiots. C’est clair, non ?

C’est épuisant de faire l’exégèse des discours de Raffarin. Je ne sais que dire des « chars lourds de la pensée unique » ou des « modèles exportés dans des fourgons blindés ». Je devine bien une allusion à la guerre froide et au modèle stalinien. Je détecte également un compliment sous entendu au modèle libéral, plus souple, qui s’imposerait par la grâce de son évidence (le fameux « plus de concurrence, plus de liberté pour le consommateur »). Mais je m’interroge sur l’espèce de cerveau qui anime Raffarin. Qu’y a-t-il dedans ? D’où viennent ces concepts ? Quelle est sa vision du monde ?

Un singe est juché sur son arbre. Il a une idée : le soleil c’est l’homme. Il faut que j’explique ça aux autres se dit-il. Le voilà qui prend les manettes d’un char lourd qu’il prend pour un fourgon blindé. Ne sachant pas conduire un char, il écrase un autre singe, bêtement descendu de son arbre. Catastrophé, il déclare : « il ne faut pas exporter nos modèles dans des fourgons blindés ».

Fin de l’histoire. Si, comme le pensait Paul Valery, les civilisations sont mortelles, alors Raffarin est un psychopathe tueur de civilisations. (Pas mal, non ?)

7 novembre 2004

Télé, Thélot, T’es lourdé

Bon, je ne l’ai pas lu. Le rapport Thélot. Mais j’ai entendu les réactions à la télé. Ça me suffit, j’ai compris. Faut revenir aux fondamentaux. Apprendre à lire et à compter, c’est bien, c’est assez. D’après les commentaires, l’école ne parvient plus à remplir sa fonction élémentaire. Il faut donc mettre le paquet sur apprendre à lire et à compter. Pour ce faire, un seul truc : le rétablissement de l’autorité.

Au lieu de rentrer dans le débat, ouvert par le ministère de l’éducation, je vais d’abord faire part de mes préjugés. J’ai été prof. J’enseignais la philo à des élèves de terminale. J’ai été élève, étudiant. Je vis avec une enseignante qui connaît par coeur la situation d’aujourd’hui. C’est pas une tendre et ses élèves – une ZEP du 93 – savent ce que c’est que la discipline. Bref, j’en sais assez pour avoir des préjugés solides.

Quand un élève arrive dans une terminale générale, il est presque tiré d’affaires. Il n’a plus qu’une envie, en finir, avoir ce satané bac et passer aux choses sérieuses. Le prof de philo de terminale doit faire face à un dilemme : doit-il enseigner à penser librement ou le bon usage du dictionnaire des citations dans une dissertation en trois parties ? La première question que les élèves posent c’est : « A quoi sert la philo, monsieur, je veux dire dans la vie réelle ? ».
Hein ? Quoi ? Ben à rien, bien sûr, c’est là toute la question : qu’est-ce que vient foutre la philo dans les lycées ? Qu’est-ce que c’est d’ailleurs qu’enseigner ? Quelque soit la matière...
C’est là que l’on a un souci majeur, celui de l’utilité face à la liberté. Et le courant de pensée actuellement dominant aussi bien dans les organes du pouvoir que ceux de l’information semble dire : nous sommes en crise économique, faisons dans l’utile. Formons les gens à être d’utiles travailleurs et de bons consommateurs.

Le débat est connu, rebattu depuis des décennies. Mais il y a un truc nouveau : la mondialisation. Que va-t-on faire d’un diplômé en compta, devenu opérateur de saisie, payé 1,2 fois le Smic en première année, quand le même boulot peut-être fait par un ingénieur système payé 10 fois moins à l’autre bout du monde ? Du coup, on a inventé le lumpen consommateur, le consommateur du quart-monde. Petit salaire, plus petit que le Smic, gros consommateur de télé, grandes surfaces avec plein de produits de série Z, moitié prix. Il consomme la production chinoise et produit la consommation des classes supérieures.

Dans les périodes de creux, on le met au chômage, puis au RMI, voire au RMA (là, il ne coûte vraiment plus rien), il s’endette un peu pour le frigidaire ou la bagnole, et puis quand ça va un peu mieux, on le reprend comme opérateur de saisie, comme il peut rattraper les traites en retard.

Pour accepter ça, il faut être un gros consommateur de télé, de jeux couillons, de constats genre « on est quand même mieux ici qu’au Darfour ». Bref, il suffit de savoir « lire » les programmes de télé, et « compter » les sous à la caisse du supermarché. Mais faut pas penser, non surtout pas penser. Parce que sinon, on déprime. Et déprimer c’est pas bon pour la consommation des ménages

27 juillet 2004

Au bon consommateur, la patrie reconnaissante

Il n’est plus très loin le jour où un duo de contrôleurs des droits d’auteur se présentera à votre porte pour faire l’inventaire légal de vos biens. Quelques jours auparavant, un gentil mail vous aura prévenu de leur visite : « Madame, Monsieur, veuillez être présent à votre domicile tel jour à telle heure afin de recevoir nos agents de la lutte contre le piratage. L’inventaire des droits d’auteur est imposé à chaque citoyen par la loi 125-456 du 13 décembre 200X, quiconque ne s’y soumettrait pas serait passible dune amende allant de 1 600 à 75 000 euros et/ou d'une peine d’emprisonnement de 3 mois avec sursis à 6 ans ferme.... ».

Ce jour là n’est pas si loin car déjà je regarde ma discothèque en me disant : ai-je bien consommé ? Je n’ai là qu’une petite centaine de CD, représentant à peine 1 500 euros, suis-je bien certain d’être en droit d’écouter de la musique ? Ah mais je pourrais toujours leur montrer ma collection de vieux 33 tours et les cassettes, tous légalement acquis.

L’industrie du disque va mal, et je me sens coupable. Depuis combien de temps n’ai-je acheté de disques ? Peut-être que je dépense trop d’argent en livres et en journaux ? Au fait, la presse ne se porte pas bien non plus, et moi qui n’arrête pas de lire gratuitement des journaux en ligne. Sans parler de tous ces sites indépendants, de tous ces blogs, sans modèle économique. Faudrait-il que je n’achète plus que des journaux dûment remplis de pub ?

Depuis combien de temps, n’ai-je pas fait l ‘acquisition d’un vêtement neuf ? D’un nouvel ordinateur, d’un nouveau téléphone portable, d’un nouveau vélo ? Moi qui suis l’un des consommateurs privilégiés, suffisamment aisé pour partir en vacances, quelle honte !

Et dire que je suis sur le point de mettre un terme à mon abonnement France Télécom. Alors que je me devais à la suite de mes parents et de mes grand parents de continuer à payer pour cette si fameuse infrastructure que notre opérateur national peine toujours à rentabiliser, quelle ingratitude !

Je n’ose plus me regarder dans la glace, moi qui n’achète pas de crème de jour anti-vieillissement, ni de crème solaire, pas même de lotion hydratante ou de crème à raser, qui me contente d’une éponge et d’un peu d’eau pour nettoyer mon lavabo, d’un paquet de riz et de quelques légumes pour m’alimenter. Je me sens petit, mesquin, alors que mon supermarché du coin est si bien fourni, que tous les produits vantés par la télévision y sont. Que va dire Sarkozy ?

Et moi qui croit au futur : à l’essence de betterave, au générateur à hydrogène, à l’énergie solaire, au réseau de communication à coût zéro, à la récupération d’eau de pluie, ne suis-je pas en train de menacer la planète, son économie, ses ressources ?

Il vaut sans doute mieux que je me rende aux autorités, qu’ils me retirent tous mes droits, que l’on m’enferme chez moi jusqu’à ce que mort s’en suive. Je suis devenu un danger pour la patrie.

9 mai 2004

Michael Moore, mort ou vif

C’est devenu une telle mode de critiquer les « médias de référence » que je me sens un peu gêné de le faire à mon tour. Pour simplifier, je dirais que le problème premier de la « presse de référence », c’est qu’elle fonctionne par case. Une case, une cible, un espace annonceur, etc. On fabrique une recette pour chaque case, et on l’applique.
Par exemple, dans la case plat de résistance du Monde 2, il s’agit d’un « grand portrait » qui fait la couverture, en photo et gros titre. Pour l’amateur d’enquête longue et fournie, ce format a de quoi séduire, le grand portrait daté du 7 mai 2004, comporte pas moins de 10 pages de textes et de photos avec plein de petits encadrés qui permettent au lecteur du dimanche de s’aérer pendant qu’il ingère le papier principal.
Jusque là pas de souci. Pourquoi les directeurs de rédaction ne concevraient-ils pas leur journal de la sorte : positionnement par rapport à un cible de lecteurs, ligne éditoriale, chemin de fer type, maquette, gabarit et ensuite on remplit les cases.
Le problème, c’est que le contenu, c’est-à-dire, soyons précis, ce qui est contenu dans les articles, ne rentre pas toujours exactement dans les cases. Pour le numéro du 7 mai 2004, le « grand portrait » était consacré à Michael Moore. Comme je suis un fan de la première heure, je trouve l’initiative heureuse. Dix pages sur mon documentariste de héros, on ne va pas bouder son plaisir.
Difficile de rencontrer Michael Moore explique l’auteur du portrait en préambule. C’est bien pour cela qu’un tel portrait est précieux : Michael Moore est partout sur les écrans ou en librairie, et finalement on ne connaît pas grand chose de lui. Je loue donc la bonne idée du Monde 2 de mieux nous faire connaître l’homme.
Souci, au bout d’un feuillet de texte, on devine que jamais le journaliste n’a pu rencontrer le bonhomme. Comment faire un portrait de quelqu’un quand on n’a même pas eu deux heures pour faire un peu sa connaissance ?
Mais heureusement, il y a les cases, et la case « grand portrait » ne stipule pas dans sa définition essentielle qu’il faille nécessairement rencontrer le sujet portraituré. On se contentera donc de fouiller à droite et à gauche dans les autres portraits déjà parus, d’interroger les personnes qui l’ont connu et celles qui ne l’ont pas connu mais qui ont quelque chose à dire sur le bonhomme. Résultat, on obtient ce qu’il est convenu d’appeler une notice nécrologique.
Bravo au Monde 2, au Monde tout court, et à ce cher Nicolas Bourcier qui a dû faire son papier sans avoir rencontré son sujet. Et pis, là je le plains vraiment, il a dû « angler » son portrait sur le fameux schéma « ange ou démon », « génie ou charlatan ». On apprendra donc dans ce portrait sans sujet que le sujet reverse 1/3 de ses revenus à des oeuvres de charité mais qu’il ne dédaigne pas dormir au Royal Monceau quand il vient à Paris. Comment fait-il pour dormir, même dans un hôtel de luxe, avec de pareilles contradictions dans sa vie ?
Moi, par exemple, j’ai passé deux nuits au Ritz-Carlton de New York, au 11eme étage avec vue sur Central Park, et je ne reverse pas un tiers de mes revenus aux oeuvres, je dors très mal. Je ne vous parle pas de tous mes collègues journalistes qui ont également bénéficié des largesses des annonceurs de leur canard lors des inévitables voyages de presse. Qu’est-ce que ça doit être pour un réalisateur ou un acteur qui assure la promotion de son film, tous frais payés par la production, production qui en plus investit un paquet de fric en marketing et en pub, tout ça uniquement pour accroître son bénéfice ?

Il est temps que Michael Moore meurt. C’est embêtant les gens qui existent pour de vrai, qui ont des choses à dire et qui les disent en plus. Ça ne rentre pas dans les cases.

13 mars 2004

Doutes dans l’esprit

(« Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’il s’agit d’ETA », Jose-Maria Aznar, le 11-03-04)

Les images de rames de trains espagnols en lambeaux, comme une métaphore aux corps déchiquetés. Et ces commentaires péremptoires désignant la coupable ETA... Dans la bouche des journalistes de télévision, on tempère quelque peu les propos des responsables politiques espagnols.
Tandis que les radios font le tour du petit monde des experts, l’on entend ici ou là dire que ces attentats portent « indubitablement » la marque de l’ETA, parce que les explosifs, parce que le train, parce que ces derniers mois, parce que l’organisation est moribonde, tout et son contraire permet de renforcer une thèse que rien n’étaye sérieusement.
On écoute, on doute. Finalement en plein milieu de la grande messe du 20h, l’info tombe : une camionnette volée vient d’être retrouvée avec détonateur et cassette des versets du Coran en 8 leçons. Ah ! Ces Basques, quelle bande de farceurs, s’ils croient qu’on va mordre à l’hameçon !
Puis, le lendemain, Al Qaeda revendique par le biais de son canal traditionnel et l’ETA dément par le biais de son canal habituel. Mais cela n’est pas suffisant, le gouvernement espagnol change d’un iota sa position : on passe de la « certitude dans l’esprit » au doute hyperbolique car rien ne prouve encore qu’il s’agisse bien d’Al Qaeda.
Ajoutez là dessus, l’argument massue. La ministre des affaires étrangères envoie une circulaire à toutes les ambassades pour que leurs représentants affirment qu’il s’agit d’ETA. Tous les ambassadeurs doivent s’appliquer à expliquer que le ministre de l’intérieur fonde sa certitude sur des informations qu’il tient secrètes pour ne pas mettre en péril le bon déroulement de l’enquête.

Depuis jeudi matin, j’ai quant à moi une certitude. Si c’est ETA, c’est bon pour le parti d’Aznar, si c’est Al Qaeda, c’est mauvais. Tout le monde a compris ça, surtout les Espagnols. Ils savent. Mais le gouvernement sait qu’il conserve une latitude importante pour jouer la carte basque, et qu’il doit la jouer le plus possible jusqu’à dimanche, jour des élections. Quand on joue... parfois on perd.
Mais jouer avec 200 morts, 45 blessés graves et plus de 1000 blessés, c’est pas joli.

5 mars 2004

Idiots qui pétitionnent

(“Il n'y a rien de moins intelligent que de signer une pétition sur Internet”, L. Ferry, 2004)

J’ai encore rien compris. Faut qu’on m’explique tout deux fois. Je signe une pétition sur Internet en faveur d’un appel critiquant « la guerre contre l’intelligence », et voilà que mon cher ministre de l’éducation nationale explique qu’il « n’y a rien de moins intelligent que de signer une pétition sur Internet ». Que veut-il dire ? Que ce que j’ai fait n’est pas très intelligent ou bien que c’est carrément idiot ?
Moi, je ne pensais pas spécialement faire preuve d’intelligence, mais de là à être pris pour un imbécile par un intellectuel reconnu, c’est rageant.
Quand mon patron m’explique en pleine crise que l’actionnaire principal de notre entreprise a mangé tous les bénéfices, qu’il ne reste plus rien pour les périodes de vaches maigres, et qu’il doit me licencier, je comprends. Pourtant, c’est compliqué.
Quand, je vais à l’ANPE, et qu’ils m’expliquent qu’ils ne peuvent pas vraiment m’aider – « avec votre profil, on ne peut rien pour vous » - et qu’ils me proposent un Plan de Retour à l’Emploi sur 30 mois afin de me permettre de construire un projet de reconversion, je comprends. Pourtant, c’est du boulot.
Quand 18 mois plus tard, après de grosses journées de travail pour faire marcher ma petite boite – dont je suis cette fois-ci l’actionnaire principal (voyez que je ne suis pas si bête) -, on m’explique qu’il va falloir que je mette prématurément fin à mon projet parce que l’actionnaire principal de l’Assedic a mangé tous les bénéfices, je comprends (ça fait deux fois alors je comprends de mieux en mieux). Pourtant, c’est énervant.
Quand à nouveau, je me relance dans la recherche d’un emploi, et qu’on m’explique que le retour de la croissance n’est pas au rendez-vous, je comprends. Pourtant, notre premier ministre nous a expliqué que la baisse du chômage était inexorable, mécanique, certaine.
Peut-être qu’il y a quelque chose que je ne comprends pas. Peut-être qu’on me prend pour un idiot, non ?
Je ne sais pas, faut pas m’en vouloir, je ne suis pas très intelligent, je signe trop de pétitions.

29 février 2004

Un bon chômeur est un chômeur mort

(Les recalculés ou les bons contes de Monsieur Raffarin)

Les premiers effets bénéfiques du plan d’élimination des chômeurs se font sentir. Notre premier ministre peut rassurer ceux de ses concitoyens qui pouvaient encore craindre d’être touchés par le chômage : “Je peux vous dire avec sérieux et détermination: cette baisse du chômage sera régulièrement confirmée tout au long de l'année 2004. Nous avons engagé les actions nécessaires pour ce faire, ” ajoute-t-il en faisant référence au plan qui a déjà permis d’éliminer 180 000 chômeurs au mois de janvier et qui en éliminera 500 000 tout au long de l’année.
Les chômeurs morts sont invités à rejoindre les forces vives de la nation au plus vite. Ils pourront profiter des bons indicateurs de croissance dont le premier ministre s’est réjouis lors d’un déplacement électoral le samedi 27 février à l’Abbaye de Prémontrés (Meurthe-et-Moselle, Région Lorraine). On appréciera que le premier ministre ait pu disposer des moyens mis à sa disposition par l’Etat pour effectuer ce déplacement électoral en faveur de son parti. Le premier ministre démontre ainsi que tous les moyens publics sont mobilisés pour servir les forces vives de la nation y compris les avions du Glam.
Le jeune créateur d’entreprise que je suis ne peut qu’applaudir des deux mains (qui d’ailleurs ne peuvent plus me servir qu’à ça). Ayant créé mon entreprise fin 2002 en m’appuyant sur le Plan de Retour à l’Emploi (PARE) qui m’assurait 30 mois d’indemnisation, j’ai été très heureux d’apprendre par voie de presse que l’équilibre financier de mon entreprise avait été avancé de 7 mois par le gouvernement. Grâce au gouvernement donc, la réduction de la durée de mon indemnisation me contraint à réussir là où je ne pouvais qu’échouer, au beau milieu de mon projet.
Merci à Jean-Pierre Raffarin qui a si bien compris les besoins des forces vives de la nation. Je lui laisse la parole pour conclure : "on ne crée pas une entreprise quand on a le blues". Il a raison, c’est après qu’on a le blues.

28 février 2004

L’obsession de la communication dans la nouvelle gouvernance

("Il est terminé le temps des gadgets, des formules, des communications, le temps est venu de la vérité", J.P. Raffarin, 2003)

Dans le rapport parlementaire sur la canicule qui a été adopté le 25 février 2004, on peut lire ce constat accablant : « La DGS diffuse un communiqué le 8 août à 16 h 39 sous l'intitulé "Fortes chaleurs en France : recommandations sanitaires". Il est assez archétypal de la lourdeur de cette administration centrale. Il faut tout d'abord observer qu'il a fallu deux jours de négociations entre plusieurs services et le cabinet du ministre pour l'élaborer. Son contenu est affligeant, se bornant à rappeler les risques découlant de la chaleur. (...) le plus surprenant est sans doute que, malgré l'accumulation de signaux inquiétants, cette communication rassurante perdurera jusqu'au 13 août. »

Durant ces deux jours, pendant que des centaines de personnes âgées mourraient dans le silence, les services du ministère de la santé ont fait amender ad nauseam par les services de la DGS un communiqué dont la substance finale était équivalente au communiqué diffusé par Météo France 4 jours auparavant. Deux jours d’intense activité dans des bureaux climatisés pour faire quoi ?
Pour sauver la face. Pour tenter par avance d’établir la non responsabilité du gouvernement dans une crise sanitaire comptabilisant 14 947 décès . Quelles que soient les conclusions du rapport parlementaire, nous aurons au moins appris une chose : le gouvernement actuel fait passer la gestion de son image avant la gestion tout court. Quand les deux ne coïncident pas, le gouvernement forme d’urgence une cellule de crise... de communication.

Et les crises de communication, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin n’a connu que cela depuis qu’il est en place. Les intermittents protestent car ils craignent que leur système d’assurance chômage soit mis à mal, et que leur répond-on : « vous nous avez mal compris, nous faisons tout pour sauver votre statut ». Les enseignants se mettent en grève, défilent durant un mois dans les rues contre la décentralisation de l’éducation nationale, et qu’entend-on du côté du gouvernement : « nous avons été mal compris ». Les chercheurs se plaignent de voir leurs budgets ramenés à peau de chagrin : « nous n’avons qu’une seule préoccupation, que la recherche française soit au plus haut niveau ». Etc. Il n’y a pas de problème, que des malentendus. Tout est solvable dans une bonne communication.

Il n’y a pas un événement politique de ces deux dernières années qui n’ait été posé, envisagé, soupesé d’abord comme un problème médiatique. A commencer par le premier de ces événements : l’élection au premier tour des présidentielles de Jean-Marie Le Pen. La plus grande victoire d’un extrême politique depuis celle des communistes après la guerre (il la méritait bien pour avoir résister). Ce jour là, Le Pen a pu remercier la campagne de communication sur l’insécurité galopante savamment concoctée par l’Elysée avec l’aide de TF1 et la complicité concurrente – quoique peut-être involontaire - de France 2. [Certes ces accusations ne sont pas étayées par des preuves, mais qu’on me permette de les maintenir puisqu’elles visent l’hôte de la présidence qui n’est justiciable devant aucune cour en France. S’il n’est pas justiciable, on peut bien l’accuser librement de tous les maux, n’est-ce pas ?] Et depuis, pas un ministre, et surtout pas celui qui se targue de la plus grande popularité parmi les Français, n’a échappé à la règle. Tout est communication, c’est écrit dans le précis de la nouvelle gouvernance de Jean-Pierre Raffarin. La démocratie moderne, selon lui, consiste à construire – artificiellement ou non – un consensus autour d’une décision que l’on a déjà prise et que l’on s’apprête à annoncer.

Mais l’actuel premier ministre n’a rien inventé qui n’ait été déjà fait outre-Atlantique et qui n’ait été importé par les grands communicants comme Jacques Séguéla. Les formules dont Jean-Pierre Raffarin rehausse ses discours sont le juste milieu entre la petite phrase et la base line publicitaire du concepteur rédacteur. Une nouvelle réforme, vite un nouveau packaging ! 15 000 morts, vite un slogan ! Une manifestation, vite un « je vous ai compris » gaullien ! Une statistique gênante, vite « un plan Marshall » ou une « fracture à réduire » !

On aura noté que tous les ministres n’ont pas les talents requis pour pratiquer l’art de la nouvelle gouvernance avec la même habilité que le premier d’entre eux. Et c’est justement en observant le concert de fausses notes donné par les Ferry, Bachelot, Mattei ou Mer que l’on a pu détailler la méthode Raffarin. Chaque fois ce dernier a du refaire la leçon, laborieusement, comme un enseignant fatigué expliquant pour la énième fois à un élève bouché, comment il faut doser les dénégations, les déclarations de bonnes intentions, polir le message, prendre à parti une minorité électorale, bref, comment réussir sa sauce démagogique pour faire passer les « dures mais si nécessaires » réformes.

Luc Ferry dont les diplômes le rendent peu enclin à recevoir la leçon d’un ancien responsable de la communication d’une marque de café, aura donné bien du fil à retordre au maître. Il faut reconnaître que le bonhomme se croit sincère et qu’il subsiste en tout philosophe un fond de scrupule qui parfois lui fait confondre une amère pilule avec la ciguë. Etre toujours du parti de Gorgias contre Socrate peut être lassant. Mais c’est à ce prix que l’on peut continuer à prendre des airs modestes en affirmant qu’il n’y a pas de plus grand honneur que d’être en charge de l’éducation nationale. Faut-il lui rappeler que trahir une charge si honorable peut conduire tout droit à la roche Tarpéienne.

Je crains, ou plutôt j’espère, que le gouvernement actuel n’est que l’un des derniers avatars d’une République qui n’a plus que son nom pour se cacher. Je crois qu’ils n’ont pas conscience de la fragilité de nos institutions, qu’en réduisant la République à un conseil d’administration et la démocratie à une réunion de planning média, ils font de ce qui n’était encore qu’un malentendu persistant entre citoyens et politiques, une insulte déshonorante à l’encontre des premiers. Les hommes sont sans doute prêt à tout avaler du moment qu’il y a de quoi s’alimenter dans le tas, mais il ne faut pas abuser : les hommes ne passent pas leur temps à mentir à leur congénère ou à leur concocter des plans média. Ils n’ont pas l’habitude, et ils finiront par vomir les politiques.

Qu’on m’insulte et qu’ensuite on m’explique que j’ai mal entendu est une chose qui fait de moi le petit frère des jeunes de banlieue. Lui, mon aîné dans le mépris subi, n’irait pas par quatre chemin avant de répondre d’un simple crachat. Et c’est la seule chose qui m’est venu à la bouche quand j’ai assisté aux protestations éhontées de l’UMP face au jugement rendu à l’encontre de Juppé. Il ne m’a fallu que quelques instants pour comprendre que ces hommes – que pourtant je ne déteste pas a priori – faisaient plus cas de leur Safrane que de la République.

Je devrais m’arrêter ici, mais demain le gouvernement va « annoncer », « claironner » que le nombre de demandeurs d’emploi en France a baissé de 30 000 au mois de janvier. Je veux bien croire que je suis un crétin qui confond chômeurs allocataires et demandeurs d’emploi, mais qu’a-t-on fait des 180 000 allocataires radiés de l’Assedic au 1er janvier 2004 ? Ont-ils tout à trac trouvé un emploi ? Sont-ils comptés ou décomptés ? S’ils sont décomptés, alors le nombre de chômeurs a crû de 150 000 au mois de janvier. Et mon petit doigt me dit qu’il va falloir que Raffarin donne une nouvelle leçon de communication, car Fillon a d’autres ambitions que de faire de la réclame.

6 février 2004

A propos d'une décision de justice qui fait beaucoup parler d'elle

("Je suis surpris par la décision du tribunal de Nanterre. Mais cette décision est provisoire", J.P. Raffarin, 2004)

Savez-vous ce que signifient les mots « mandat électif » ? Pensez-vous qu'il s'agisse d'un concours d'entrée en politique que les diplômés des grandes écoles passent en fin de cursus ? Ou bien s'agit-il du passage obligé que les « grands hommes » de ce pays empruntent pour se faire connaître des Français ? Ou bien encore une distinction qui honorent celles et ceux qui savent se faire aimer des électeurs ?

Sommes-nous vraiment dans le pays qui réinventa la République au XVIIIe siècle si dans ce même pays, les hommes investis d'un mandat électif en ignorent le sens au point de mettre en cause l'un des piliers de la démocratie ? Que ceux qui trouvent choquant qu'un homme qui a « trompé la confiance du peuple souverain » - celle qu'il lui a justement confiée en l'investissant d'un mandat - soit privé du droit de se présenter devant les urnes pendant 10 ans, aient l'impudence de se prétendre « hommes politiques » me révulse. Et je suis certain de n'être pas le seul.

La politique existe dans cet espace qui s'appelle le politique, celui qui permet aux citoyens de s'informer librement, de juger, de débattre et de décider ensemble. Les modalités de cette délibération collective sont décidées collectivement, et en dernier ressort la légitimité de toute décision politique repose sur le peuple souverain. Pas un homme politique n'est censé ignorer cela, et dans les moments de crise comme celui qu'une bonne moitié du corps politique français est en train de vivre, tous devraient s'en souvenir sans la moindre défaillance.

Au lieu de quoi, nous assistons à une débauche de plaidoiries sauvages sur les écrans et dans les colonnes des journaux qui prouvent non seulement le manque de respect que ces hommes ont de la justice mais également la piètre estime qu'ils ont pour la notion de peuple souverain.

En rappelant tout simplement ce qu'implique le fait d'être investi d'un mandat électif, et ce qu'il en coûte de le trahir, les juges du Tribunal de Nanterre n'ont pas fait de la politique comme certains croient intelligent de le dénoncer, ils ont simplement rappelé ce qu'est le politique.

Etant un simple citoyen, ayant eu à supporter le déshonneur d'avoir à voter pour un homme que je sais être coupable d'avoir déjà « trompé la confiance du peuple souverain », je n'ai plus le goût des jeux d'esprit et des habiles discours de rhéteurs, je trouve que les attendus des juges de Nanterre sont simples et indiscutables. Ils me rendent un peu de l'honneur que je perd chaque jour à voir certains hommes politiques confondre leurs intérêts personnels (qu'ils soient matériels ou politiques) et la confiance du peuple souverain. Merci à eux.