11 décembre 2004

Tombé de son arbre

(« Il ne faut pas exporter nos modèles dans des fourgons blindés », Raffarin au Mexique en 2004)

C’est juste que ça fait longtemps. Mauvais prétexte, mauvaises excuses. Impressionné par les déclarations de Raffarin au Mexique dont je ne retrouve trace sur le Web (pour réparer cette absence, les voici donc extraites à la main d’une manchette du Canard du 24/11/04: « C’est perché au sommet de son arbre généalogique que l’homme sonne le plus juste. (…) Pour un grand nombre de philosophes, le soleil c’est l’homme.» Le premier ministre s’est également opposé aux « chars lourds capables de porter les idées uniques » et a conclu ainsi : « Il ne faut pas exporter nos modèles dans des fourgons blindés »), impressionné donc par ces nouvelles raffarinades, j’allais reprendre la plume quand une nouvelle marée de boulot et de soucis m’a submergé. La grève libérée, je reprends donc.

Pour ceux des Mexicains qui n’ont pas même un morceau de pain à se mettre sous la dent, voilà donc déjà la farine. Les autres (ceux qui ont à manger, NDMA) auront pu goûter les délices de ce remix pataphysicien de l’idéologie libérale contemporaine et même s’offrir le luxe de penser franchement que le dirigeant français est au moins aussi taré que ses homologues des temps où les dictateurs dévoyaient leur langue aux confins du sens et de la morale. Pardon pour ces commentaires diffamants et goinffrés de références absconses, mais il me faut transiter vers un autre sujet, et il ne fait pas bon rester dehors trop longtemps en cette fin d’automne verglassante (voilà qu’à mon tour je commets des raffarinades!).

Les formules sont là pour marquer les mémoires débiles (fragiles ou séniles, comme vous voudrez) à l’heure où les esprits se rendent de plus en plus disponibles à force de traitements cathodiques à haute dose (si vous avez été au Collège, vous vous souviendrez sans doute de cette expérience qui consiste à transporter des électrons d’un point à un autre en usant d’une anode et d’une cathode, c’est un peu ce que fait TF1 avec les neurones qui disparaissent du cerveau pendant les programmes pour réapparaître durant les pubs. Etonnant non ?), en ce sens Raffarin, ancien communiquant à caractère commercial, a très bien compris que ses discours devaient être forgés comme des statements (formules) publicitaires.

Il serait stérile de commenter les formules mexicaines de notre philosophe de premier ministre, mais ce serait dommage de s’en priver. Pas étonnant que Raffarin sonne faux puisqu’il est au fond du gouffre, voila pour la première. Pour la deuxième, j’avoue que je ne vois pas bien l’allusion mais si le soleil c’est l’homme, il se pourrait que la lune soit la femme. Je sais bien que « pour un grand nombre de philosophes », l’homme c’est l’homme et la femme, mais j’ai un doute quant à Raffarin, car l’on dit bien « con comme la lune » (facile, je sais). « Quand le sage montre la lune, l’idiot montre le doigt » me souffle un ami. Raffarin est un sage, nous des idiots. C’est clair, non ?

C’est épuisant de faire l’exégèse des discours de Raffarin. Je ne sais que dire des « chars lourds de la pensée unique » ou des « modèles exportés dans des fourgons blindés ». Je devine bien une allusion à la guerre froide et au modèle stalinien. Je détecte également un compliment sous entendu au modèle libéral, plus souple, qui s’imposerait par la grâce de son évidence (le fameux « plus de concurrence, plus de liberté pour le consommateur »). Mais je m’interroge sur l’espèce de cerveau qui anime Raffarin. Qu’y a-t-il dedans ? D’où viennent ces concepts ? Quelle est sa vision du monde ?

Un singe est juché sur son arbre. Il a une idée : le soleil c’est l’homme. Il faut que j’explique ça aux autres se dit-il. Le voilà qui prend les manettes d’un char lourd qu’il prend pour un fourgon blindé. Ne sachant pas conduire un char, il écrase un autre singe, bêtement descendu de son arbre. Catastrophé, il déclare : « il ne faut pas exporter nos modèles dans des fourgons blindés ».

Fin de l’histoire. Si, comme le pensait Paul Valery, les civilisations sont mortelles, alors Raffarin est un psychopathe tueur de civilisations. (Pas mal, non ?)

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